Salut à toi, ô lecteur. Puissent les Cieux me donner la magie de te retenir en mes mots, moi qui serpente le long des terres du Mellois.

Salut à toi, ô amoureux de la nature. Puisses-tu m'accorder la faveur de lire en mes méandres les courbes du destin.

Salut à toi, ô écrivain. Parle de moi avec verve et sincérité, moi qui coule là où tu résides.

Salut à toi, Méli, toi qui est devenue un emblème de nos territoires.

Je suis celle qui jaillit de nulle part, près de ce lieu que les hommes ont nommé Saint-Coutant, cherchant à serpenter là où les terres passent du rouge au brun, ou du brun au rouge, comme je reflète tour à tour les couleurs du ciel.

Au fil des mètres et des kilomètres je grandis et reçois les eaux d'autre cours d'eau, collectant les larmes des champs fertiles et des plaines agrémentant le plateau du Lezayen. Je virevolte et cours, parfois avec force, parfois plus calmement, en trouvant sur mon chemin hommes et bêtes qui, lorsqu'ils en ont besoin, utilisent mes eaux pour leurs usages. Certaines de ces bêtes sont là à longueur d'année, d'autres ne sont que de passage. Mais qu'importe, je suis issue d'une source, et je suis également source de vie pour ces peuples des terres de moins en moins sauvages.

Je suis une légende

J'en ai vu des femmes et des hommes vivre et mourir. J'en ai fait vivre des poissons et toutes sortes de bestioles, sur tout le long de mon cours.

J'en ai vu des enfants voulant tremper leurs pieds en moi et châtouillant le haut de mon lit.

J'en ai vu des embarcations tentant de suivre mon courant.

J'en ai vu des femmes et des hommes détournant mes flots pour que moulins et biefs se construisent.

Et je me souviens de l'une de ces femmes. Ou plutôt une de ces créatures. Elle s'appelait Soline. Jeune latine de nos territoires, elle était née sous les traits d'une sardinelle, venue de nulle part en la source de Bruneau (là où je jaillis). Elle parcourait mes eaux, faisant briller sa peau brigandine, au milieu des rochers jaunis par certaines mousses. Elle brillait tellement qu'elle captivait les hommes qui non seulement refusaient de la pêcher, mais passaient leur temps à essayer de la peindre, de l'amadouer. Que néni, leurs doigts de coquins glissaient sur elle en vain.

L'un d'eux, je me souviens, était prêt à prier tous les saints pour qu'un jour cette petite sardinelle devienne une jeune femme.

C'est ce qui arriva, un matin de printemps. J'avais entendu les prières de cet homme, moi qui suis le reflet du ciel. La petite sardinelle sortit des eaux et se transforma en une jeune femme. Frêle au premier regard, elle avait des cheveux d'or et des grands yeux océans, de quoi charmer les manants cédant sous son charme. Je me souviens bien de ce moment, où cet homme me remercia en ma divine providence. D'ailleurs, il fit de moi une légende, et proposa de me nommer. Moi, divine ? Voilà qui me plaît bien.

 

Le fauve est mort ce soir

Notre jeune sardinelle portait elle aussi cette divinité. Les hommes ne s'y sont pas trompés : des fauves terribles traumatisaient les troupeaux dans les bois de la Drouille, près de là où je serpente. Et malgré ma divinité je ne pouvais rien faire. Mais elle, cette jolie sardinelle, eut les pouvoirs nécessaires pour les chasser : elle transforma le plus gros de ces fauves en une jument blanche puis ouvrit un gouffre sous la bête. Cette dernière, dans un hennissement terrible, tomba vers les enfers, martelant les parois de pierre du gouffre à grands coups de sabots. Et c'est depuis ce jour, cher lecteur, que mes eaux tombent pour l'éternité vers le sous-sol, dans un vacarme assourdissant.

Notre petite sardinelle fut remerciée par les hommes, à tel point qu'un village porte désormais son nom : Sainte-Soline.

Mais quelqu'un s'est-il occupé de reboucher ce gouffre ?

Quelqu'un sait-il pourquoi cette petite sardinelle a charmé les hommes, me laissant moi, sa nourrice, couler vers le néant ?

Moi je ne le sais pas. Depuis ce jour, je hante les sous-sols à partir de ce gouffre, gémissant en silence, loin du regard des hommes. Je circule et navigue dans les cavernes souterraines, passant de sols en sols, jaillissant en surface quand bon me semble. Je sors parfois de mon lit, lorsqu'il pleut fort, rappelant aux hommes que je suis présente et que toute leur ingénierie ne m'empêchera jamais de me "méandrer" où je le souhaite. Dans un acte désespéré, l'un d'eux, il y a fort longtemps, m'adressa un poème, espérant me charmer :

 

"Salut, Dive, mère généreuse des récoltes et des hommes
c’est toi qu’honore une brillante élite, une jeunesse rompue aux travaux de la terre
des orateurs dont l’éloquence rivalise avec la langue du Poitou
Que dire aussi des bonnes moeurs et du caractère joyeux sous un front serein
que la nature a accordés à tes enfants !
Salut, rivière renommée pour tes terres comme pour ceux qui les cultivent,

Tes courbes enchanteresses amènent fertilité et joies à ceux que tu abreuves de tes flots"

 

Mais il fut bien seul. D'autres l'ont rejoint au fil du temps pour me célébrer ou me prier de couler en permanence à leurs pieds. Mais ils ne sont pas assez pour me séduire :  je m'appelle Dive, et chacun sait que je suis une déesse des eaux. Je peux serpenter où je le souhaite, jusqu'à ce que mes flots rejoignent rivières et océan.

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