Si vous en jugez pas la couleur de mon pelage, vous trouverez certainement que je suis une chèvre assez peu commune… et pourtant, si vous aviez vu mes ancêtres ! Il est une histoire que nous nous transmettons de chèvres en chevreaux et chevrettes. Elle a tellement fait grand bruit à l’époque au village, que les humains l’ont conservée sur un papier un peu jauni (qu’on préférerait bien grignoter d’ailleurs...) Bref ! Laissez-moi vous conter l’histoire peu croyable de mon arrière, arrière, arrière, arrière, arrière grand-mère…

Méli
 

En cette année 1776, l’automne s’installait déjà sur les plaines de Gicorne à Saint-Léger. Pour nous les chèvres, une nouvelle saison à passer à l’étable bien au chaud s’annonçait, à l’abri de l’air glacé de l’hiver pour venir nous chatouiller la barbiche. Cette année encore, la récolte est bien maigre pour mes éleveurs Jacques et Magdelaine. L’hiver risque d’être long surtout pour madame que je trouve bien plus fatiguée et soucieuse que d’habitude. On dirait même que quelque chose grandit dans son ventre…

Par ma corne, j’en étais sûre ! Voilà qu’un tout petit est arrivé à la ferme. Entendez-le comme il pleure, comme il crie… Va ! Aucun chevreau n’a jamais pu me résister et j’ai toujours su y faire. Alors avec ce petit être tout rose ça devrait être de la tarte, non ? Vous auriez vu la tête de ma maîtresse quand j’ai pointé le bout de mon museau à l’intérieur. Un seul regard a suffi entre nous pour qu’elle comprenne la raison de ma présence…

Quelques années plus tard, sont arrivés Marie puis Françoise et puis Louise et Pierre. Je vous jure qu’au village, on n’en revenait pas ! Tous étaient en pleine santé et semblaient manger à leur faim tandis que leur parents avaient le visage émacié et la peau sur les os. Il n’en fallut pas plus pour que le concierge du village, j’ai nommé Môsieur le curé, vienne mettre le nez dans cette histoire.

- Ben oui, il faut dire Madame Lacombe, qu’il disait avec un air suspicieux, on sait bien que vous peinez vous même à vous nourrir alors cinq enfants en plus vous comprenez… c’est à peine croyable ! Qu’est ce qu’il se cache là-dessous ? demanda-t-il, bien décidé à dénicher une quelconque histoire louche à se mettre sous la dent.

- Mais Monsieur le Curé c’est tout simple, répondit ma maîtresse avec un petit sourire espiègle, regardez dehors et vous découvrirez mon secret...

Ni une ni deux, le curé se redressa et ne put cacher sa déception en découvrant dehors deux chèvres, dont moi-même, broutant l’herbe d’un air innocent…

- Allons donc Mme Lacombe qu’est ce que vous me chantez là ? 

- Monsieur le Curé, lorsque l’aînée est arrivée, mon mari et moi nous étions désemparés… rien à manger vous comprenez ? Alors un soir, une de nos chèvres est arrivée. C’est drôle, mais elle semblait vouloir m’aider… Alors j’ai placé son pis dans la bouche de ma fille. Depuis c’est elle qui a nourri mes autres enfants jusqu’à ce qu’ils soient assez forts pour courir et jouer dans les champs.

Et mon arrière arrière arrière arrière arrière grand-mère adorait rajouter : « Si à Rome une louve a pu élever et nourrir des enfants, chez nous en Mellois les chèvres en ont fait tout autant ! »

Cette histoire vous a fait sourire ? Sachez qu'elle a bel et bien existé. Elle a été consignée sur un acte notarié le 15 janvier 1776. Il est possible de consulter l'acte aux archives départementales des Deux-Sèvres aux cotes suivantes : 3E8944  CAHAYE Notaire à Melle 1776.

On en veut plus !

Un grand merci à Aude et Rémy du Centre Jean Rivierre de La Couarde de la Maison du Protestantisme poitevin qui consignent soigneusement mille et un trésors de l'histoire locale (documents historiques, généalogie protestante...). Ouvert toute l'année le mardi matin de 9h30 à 12h et sur rendez-vous du lundi au samedi.

5, impasse du Temple - La Couarde 79370 Prailles-la Couarde

05 49 32 83 16

Dans la même collection :