Il est né d’une graine, tout en haut d’un tas de terre. Fier arbre présent sur le drapeau du Liban, ce cèdre domine sur le bois dit du "Parc des Boissières" à Rom. Retour sur une vie au contact de l’Homme.

Cold Case

1883, Rom, terrain privé de Jean-Théophile Blumereau, notaire.

La fouille d’un ensemble thermal romain vient de s’achever. Les ouvriers s’escriment à reboucher les excavations faites, amenant la terre extraite à l’aide de wagonnets installés sur des rails de fortune.

Le chef de chantier missionné par M. Blumereau regarde ses ouvriers, contents et satisfaits d’avoir véhiculé toute cette terre, après avoir découvert une part de leur passé. Pour “marquer le coup”, il a ordre de planter des cèdres pour symboliser les emplacements des découvertes importantes réalisées. Il lui en reste un dernier à planter.

- Euh, Marcel. C’est quoi ce tas de terre là ?

- C’est ce qui nous reste après rebouchage. Ça va vite s’étaler avec le temps, la pluie...

- Tu crois ? Non parce qu’il fait 4 mètres de haut et 10 mètres de diamètre quand même. Va en falloir des pluies là, non ?

- Ah oui, vu sous cet angle… Bof, au pire on a qu’à raconter qu’on a enterré un trésor inestimable dessous.

- Bonne idée. Mais le trésor, je vais le mettre au-dessus, pas en-dessous. Ce sera un cèdre du Liban. Il paraît que c’est un arbre mystique.

- Peut-être. Moi, y a un truc qu’est pas mystique et que j’ai en stock, c’est un p’tit coup à boire. Quoique, la goutte du père Firmin, ché pas si elle est mystique, mais quand t’en bois, tu découvres des organes dans ta gorge que tu savais pas que ça existait. Je dirais magique même.

Le chef de chantier y planta la jeune pousse, avec dans son chant de vision le très haut clocher de l’église du village, hauteur qui contrastait avec le reste du bâtiment. M. Blumereau arriva et salua ce choix, et, tout en regardant l’arbre, il eut cette réflexion : “Quand tu auras poussé, tu seras aussi grand que ce clocher. Les Hommes diront que du haut de ta cime, des siècles les contemplent”.

Le cercle des Cèdres disparus

2020, Rom. Terrain public de la Commune de Rom – Parc des Boissières.

Le cèdre est désormais âgé de 137 ans. Il domine la vallée de la Dive, espiègle et sinueuse rivière, nourricière de sardinelles. Autour de lui, de nombreux arbres à feuilles caduques. Certes d’autres cèdres sont présents non loin, mais seul lui est sur une butte de terre, de 4 mètres de haut et d’environ 10 mètres de large.

Un homme passe avec son fils, âgé de 10 ans. Ils sont rejoints par deux autres personnes, équipées d’appareils photo, et leurs discussions tournent autour de quelque chose de romantique, à moins que ce ne fut la Rome antique ? En tout cas, le père et son fils arborent de bien curieuses tenues, issues manifestement d’un autre temps.

- C’est le roi de la forêt ? Demande l’enfant à son père.

- C’est un cèdre. Il est sur cette butte de terre car il représente certainement un symbole pour ceux qui l’ont planté.

- Un cèdre ? Ah d’accord. Il est magique quand même non ?

- C’est le symbole du Liban et n’est arrivé chez nous que vers 1735. On dit que c’est un arbre sacré, et qu’il a été utilisé par un roi, appelé Salomon, pour construire le temple de Jérusalem. Donc il est un peu magique oui.

*Voyant d’autres cèdres plus loin*

- Ah ben y en a d’autres ! Tu crois qu’ils parlent entre eux ?

Le cèdre, sur sa butte, contemplait ces êtres, qui, comme de nombreux autres, s’intéressaient à lui. Oh il en a entendu des théories sur sa situation. Il en a entendu des bêtises, des théories parfois proches de la vérité, parfois complotistes. Il en a vu des femmes, des hommes et des enfants tout au long de son existence, se rappelant la vie de celles et ceux qui se sont entretués, de celles et ceux qui se sont mariés sous ses branches, celles et ceux qui se cachaient derrière lui pour ne pas qu’on les voie ensemble simplement parce qu’ils ne suivaient pas les mêmes préceptes religieux... Mais c’était la première fois qu’il entendait qu’un si petit être puisse comprendre que les arbres communiquent entre eux. Et pourtant, il a bien raison ce bambin. Portant ses fières branches vers le ciel, comme un regard se perdant dans l’éternité, le cèdre se souvint alors de ce que lui transmit son “père” grâce au sang de la terre, aujourd’hui sa sève :

"SI…

Tu peux voir construite l’œuvre de centaines de vies

Et sans dire un mot aimer à la voir bâtie

Ou entendre en un souffle de vent la sagesse des hommes réunie

En recueillant des chouettes et des oiseaux les cris


Si tu peux rester debout malgré les guerres qui ont détruit

Marquant le temps de ta présence chassant les décennies

Laissant ta sève couler vers cette Terre qui nous nourrit

Caressant le ciel pour qu’il t’épargne la maladie

 
Si tu sais méditer, observer, transmettre et connaître,

Sans jamais pencher vers le néant malgré les orages et les peurs

Rêver, bercer, bruisser en devenant des rêves des enfants le maître

Être le refuge des sages, des amours et des poètes, quelle que soit l’heure


Si tu sais montrer que tout triomphe nécessite une prise de hauteur

Qu’il n’est aucune victoire sans branche coupée ou cassée

Ni de défaite sans expérience prise pour que naisse de l’espoir une lueur

Toi qui est le porteur d’histoire de celles et ceux qui sont ici passés

Si tu peux être le mage qui réunit le ciel et la terre

Quand tous les autres ne regarderont que leurs feuilles

Si tu peux être le sage qui apporte la lumière

Quand tous les autres des saisons cycleront avec le seuil

 
Tu seras un arbre, mon Fils."

 

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